HARTMANN VON AUE

HARTMANN VON AUE
HARTMANN VON AUE

HARTMANN VON AUE (1160 env.-entre 1205 et 1215)

Le premier en date des grands classiques du roman courtois en Allemagne (G. Zink). D’après les quelques témoignages littéraires qui nous sont parvenus (Wolfram d’Eschenbach, Gottfried de Strasbourg) et les renseignements qu’il nous a fournis lui-même dans ses œuvres, nous savons que Hartmann von Aue était d’origine souabe, chevalier de naissance non libre (dienstmann ), ministérial au service d’un seigneur d’Ouwe (sans doute l’actuel Eglisau près de Schaffhouse en Suisse), auquel il semble avoir été très attaché. Formé dans une école conventuelle, il a appris la grammaire, la rhétorique et la dialectique et fréquenté les auteurs latins, qu’il cite dans ses œuvres. Sa connaissance du français lui a permis d’autre part d’adapter deux romans de Chrétien de Troyes. Cette culture littéraire, remarquable pour l’époque, ne l’a pas empêché de placer son titre de chevalier au-dessus de ses dons de poète et de vouloir s’illustrer comme homme de guerre; une croisade, sans doute la troisième (1189), lui en fournit l’occasion.

La chronologie de ses œuvres n’a pu être établie qu’avec une certitude relative. À la période de jeunesse (1180-1185) se rattachent le Büchlein (Petit Livre ) et l’Erec ; le premier est un traité didactique sur l’amour courtois que Hartmann a désigné lui-même sous le titre de klage , traduction de «complainte» (variante du Salut d’amour); il s’agit d’une disputatio , d’un dialogue entre le corps et le cœur, ce dernier étant le siège des désirs et de la passion sublimée; le cœur enseigne au corps la nécessité de l’effort, de la privation, du renoncement pour que soit atteint dans le vasselage d’amour l’état de perfection humaine vers lequel tend la culture courtoise. L’Erec est un poème arturien adapté assez librement de Chrétien de Troyes qui pose le problème de la conciliation à réaliser entre les exigences de l’honneur et celles de l’amour. Le héros conquiert la main de la belle Enite en triomphant de son rival Yder, mais il devient ensuite récréant, c’est-à-dire qu’il oublie auprès de sa dame les tournois et la gloire. Il suscite ainsi la réprobation de son entourage, jusqu’au jour où il entend son épouse déplorer tout haut cette situation; il décide alors de renoncer à l’amour et de partir en quête de nouvelles aventures; il entraîne Enite à sa suite et la traite très durement, bien qu’elle lui sauve plusieurs fois la vie. Après avoir triomphé de tous ses adversaires, il explique à Enite qu’il a voulu éprouver son amour, se réconcilie avec elle et livre son dernier combat contre le chevalier Mabonagrin. Les poésies lyriques qui datent de la même époque reprennent les thèmes chers aux trouvères français (joie de la rencontre en dehors de témoins indiscrets, tourments de l’amour), mais Hartmann von Aue sait se montrer aussi plus original en célébrant l’amour réciproque, voire avec une dame de moindre extraction. Cette première période s’achève sur une crise religieuse qui l’amène à se croiser et influence très profondément les œuvres de la période suivante (1185-1189): le Gregorius et les chansons de croisade. Le Gregorius illustre la miséricorde de Dieu à l’égard du pécheur repentant; né des amours incestueuses de deux enfants princiers que le Diable a réussi à égarer, Gregorius, enfant abandonné recueilli par des pêcheurs, quitte l’école conventuelle où il brille par l’intelligence et le savoir, part en quête d’exploits héroïques, libère une ville assiégée, épouse la princesse du lieu qui se révèle ensuite être sa mère. Épouvanté et désespéré, Gregorius se laisse enchaîner sur un rocher pour expier son forfait; dix-sept ans plus tard, deux légats viennent le délivrer; Dieu lui a pardonné et le désigne pour succéder au pape qui vient de mourir. Ce poème édifiant n’est pas une condamnation du monde; les exploits chevaleresques y sont décrits avec complaisance. C’est plutôt dans les austères chansons de croisade composées à la même époque qu’il faut rechercher le renoncement au monde en général et à l’amour humain en particulier. Thomas Mann a repris le thème de Gregorius dans un de ses livres, L’Élu (Der Erwählte , 1951).

La dernière période (1189-1195), celle de la maturité, est dominée par une nouvelle œuvre religieuse, Le Pauvre Henri , et surtout une seconde adaptation de Chrétien de Troyes, l’Iwein .

Plus détendu que le Gregorius , le poème en vers du Pauvre Henri veut montrer les insuffisances d’une vie trop exclusivement vouée au monde et les limites de l’idéal chevaleresque lorsqu’il ne s’appuie pas sur la foi chrétienne et n’accorde pas la première place à Dieu. Henri, dont Hartmann fait l’un des ancêtres des sires d’Ouwe, mène une brillante existence de chevalier lorsqu’il est soudain atteint de la lèpre et exclu du monde. Les médecins lui annoncent que seul le sacrifice d’une jeune fille pourra le sauver. La fille des métayers qui le soignent s’attache à sa personne et brûle de lui offrir sa vie; Henri s’y refuse d’abord, puis finit par consentir. Pourtant, au tout dernier moment, Henri arrête le bras du médecin; la jeune fille, frustrée de son sacrifice, se désespère. C’est alors que Dieu intervient et guérit Henri après l’avoir éprouvé comme autrefois son serviteur Job. Le chevalier épouse la jeune fille, retrouve sa vie brillante, mais il n’oubliera plus jamais Dieu. Hartmann ne prêche plus le renoncement total comme dans le Gregorius , mais tente cette fois une synthèse.

L’Iwein (achevé avant 1205), adapté de l’Yvain de Chrétien de Troyes, est considéré comme l’œuvre la plus achevée de Hartmann. Comme dans Erec , le héros commence par vaincre un adversaire, le roi Ascalon; il le poursuit et le blesse mortellement sur le pont-levis de son château. Grâce à l’entremise de la servante Lunete, il échappe à la vengeance des gens du roi, s’éprend de la femme du mort, se remet à sa merci et l’épouse. Survient alors Gawein, son ami d’enfance, qui veut l’entraîner vers de nouvelles aventures. Laudine y consent, à condition qu’Iwein soit revenu dans un an. Mais il laisse passer ce délai et quand il revient il est maudit et accusé d’infidélité. Il sombre dans un désespoir proche de la folie, erre comme une bête dans le désert, jusqu’à ce que des mains secourables le guérissent. Il connaît alors une nouvelle série d’aventures, puis se réconcilie avec Laudine. On a souvent vu dans l’Iwein le pendant de l’Erec : au lieu de s’enliser dans le confort, le héros se perdrait en aventures; mais l’analogie s’arrête là, car on ne peut pas dire qu’Iwein retrouve le sens de l’amour dans ses aventures comme Erec retrouvait celui de la vaillance. Son entourage ne le condamne pas, il reste un modèle de perfection courtoise; toutes ses aventures sont des actes de générosité et de désintéressement; sa fidélité est inébranlable. La seule faute qu’il ait commise est le meurtre d’Ascalon, un acte peu conforme au modèle courtois. En réalité, il semble bien que l’auteur ait dû réaliser une sorte de compromis entre les données d’une fable d’où l’élément moral était absent et les exigences du roman courtois (faute et expiation); pour ce faire, il a relativement minimisé la faute initiale (le meurtre d’Ascalon) et dramatisé le non-respect du délai imposé par Laudine.

On a souvent remarqué que l’ensemble de la production de Hartmann traduisait sa propre évolution vers un idéal de mesure (maze ) et de sérénité; celui-ci n’est réalisable que lorsque les valeurs chrétiennes viennent tempérer et vivifier l’éthique courtoise; entre l’«insensé de ce monde» (werlttor ) et l’ascète (Gregorius), il y a place pour un type d’homme équilibré qui sache «plaire à Dieu et au monde» (Got unde der Werlde gevallen ).

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Нужна курсовая?

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Hartmann von Aue — (c. 1170 c. 1210) was a leading poet of the Middle High German period.He belonged to the lower nobility of Swabia, where he was born. After receiving a monastic education, he became retainer ( Dienstmann ) of a nobleman whose domain, Aue, has… …   Wikipedia

  • Hartmann Von Aue — Hartman von Aue d après le Codex Manesse Hartmann von Aue (vers 1170 vers 1210) était un poète allemand important au Moyen Âge. Hartmann von Aue (Owe, aussi Awe) est né dans une famille noble de Souabe, un Dienst …   Wikipédia en Français

  • Hartmann von aue — Hartman von Aue d après le Codex Manesse Hartmann von Aue (vers 1170 vers 1210) était un poète allemand important au Moyen Âge. Hartmann von Aue (Owe, aussi Awe) est né dans une famille noble de Souabe, un Dienst …   Wikipédia en Français

  • Hartmann von Aue — (Owe), mittelhochdeutscher Dichter, geb. um 1170 aus einem edlen Geschlecht in Schwaben, gest. nach 1210, war Dienstmann der Herren von Aue und nahm teil am Kreuzzug von 1197 (oder schon 1189?). Über seine weitern Schicksale ist nichts bekannt.… …   Meyers Großes Konversations-Lexikon

  • Hartmann von Aue — • A Middle High German epic poet and minnesinger; died between 1210 and 1220 Catholic Encyclopedia. Kevin Knight. 2006 …   Catholic encyclopedia

  • Hartmann von Aue — Herr Hartmann von Aue (autorretrato ficticio en el Codex Manesse, fol. 184v, sobre 1300). Hartmann que von Aue (* alrededor de 1180 hasta 1205[1] † entre 1210 y 1220) es …   Wikipedia Español

  • Hartmann von Aue — Traduction à relire Hartmann von Aue → …   Wikipédia en Français

  • Hartmann von Aue — Herr Hartmann von Aue (fiktives Autorenporträt im Codex Manesse, fol. 184v, um 1300) Hartmann von Aue († vermutlich zwischen 1210 und 1220) gilt neben Wolfram von Eschenbach und Gottfried von Straßburg als der bedeutendste Epiker der sogenannten… …   Deutsch Wikipedia

  • Hartmann von Aue — (ca. 1160–ca. 1210)    The Southwest German (Allemanic) poet Hartmann von Aue introduced the genre of the Arthurian ROMANCE to German literature. He translated, or adapted, CHRÉTIEN DE Troyes’s Old French romance EREC (ca. 1160) into Middle High… …   Encyclopedia of medieval literature

  • Hartmann von Aue — I Hạrtmann von Aue,   mittelhochdeutscher Dichter, Hartmann von Aue. II Hartmann von Aue,   mittelhochdeutscher Dichter, * 2. Hälfte des 12. Jahrhunderts, ✝ Anfang des 13. Jahrhunderts; bezeichnet sich selbst in seiner Dichtung als gelehrten… …   Universal-Lexikon

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”